Au regard des observations empiriques du Dr Jean-Claude Guimberteau par endoscopie tissulaire et de divers travaux sur les fascias, il apparaît aujourd’hui clair que l’on ne peut plus considérer le corps humain comme un assemblage de parties isolées et séparées par un tissu inerte. Bien au contraire, la structure du corps apparaît comme un système fibrillaire continu, interconnecté, de la surface de la peau jusqu’au noyau de la cellule, que nous, fasciathérapeutes, nommons le système fascial. Colin Armstrong, ostéopathe, relate dans un excellent article paru en janvier 2020 le fruit de nombreuses années de recherche sur ce sujet dans une perspective ostéopathique (1).
Fin du 19ème siècle : Andrew Taylor Still, un visionnaire sur l’architecture du corps et l’importance des fascias
Andrew Taylor Still, fondateur de l’ostéopathie, a été influencé, selon Colin Armstrong, par les écrits du philosophe et biologiste Herbert Spencer qui décrivait en 1864 « l’unité de tous les systèmes vivants dans lesquels chaque partie vit pour et par l’ensemble ».
Still, fin 19ème, sans les techniques d’observation et d’analyse dont nous disposons aujourd’hui, écrivait que « le fascia engaine, imprègne, divise et subdivise chaque portion du corps, entourant et pénétrant chaque muscle et toutes ses fibres, chaque artère et chaque fibre » (Still, 1899).
Aujourd’hui, dans le document « Benchmarks for training in osteopathy » publié par l’OMS (WHO 2010), le corps humain est décrit comme une unité dynamique fonctionnelle dans laquelle la structure et la fonction sont inter-reliées à tous les niveaux du corps humain.
Années 2000 : Jean-Claude Guimberteau confirme cette intuition grâce à l’endoscopie tissulaire
Le Pr Jean-Claude Guimberteau est un chirurgien orthopédique. Il est le 1er à avoir filmé le tissu humain vivant grâce à un endoscope pour comprendre l’organisation de la matière vivante.
Ses recherches ont révélé que l’architecture et la micro-anatomie du corps est totalement différente de la vue anatomique « compartimentalisée » qui a été enseignée pendant des siècles.
Ses films ont permis de montrer qu'une force appliquée à la surface de la peau est transmise profondément dans les tissu vivants par l'intermédiaire d’un réseau fibrillaire continu tensionnel s’étendant partout dans le corps à tous les niveaux d’organisation et à toutes les échelles, du macroscopique au microscopique, de la surface de la peau jusqu’au périoste. Il confirme également le concept du corps comme unité fonctionnelle introduit par Andrew Taylor Still.
Les vidéos d'endoscopie sont visibles sur ce lien ici
Les travaux de dissection de Gil Hedley, un passionné des fascias, réalisés dans les années 2000, rejoignent ces recherches. Je vous invite à visionner ses formidables vidéos accessibles ici : https://www.gilhedley.com/library
Pour Guimberteau, ce réseau fibrillaire est mobile, adaptable et son organisation fractale et irrégulière. Dans ce réseau multifibrillaire, les fibres (80% de collagène et 20% d’élastine) s’interconnectent et créent des microvolumes tri-dimensionnels qu’il a nommés « microvacuoles ».
Malgré un apparent chaos et un comportement imprévisible, ce système semble hautement efficient et jouer un rôle dans le mouvement à la fois macroscopique et microscopique.
2017 : une interconnexion depuis la peau jusqu’au noyau de la cellule !!
Alors que pendant des années, la recherche fondamentale a basé ses travaux sur des cellules isolées sans prendre en compte son environnement, Alfred Pisinger a été l’un des 1ers scientifiques à reconnaître que la cellule ne pouvait être totalement comprise sans prendre en compte son environnement (Pisinger 2007).
La cellule n’est pas un sac inerte et hermétique flottant dans une soupe cytoplasmique. Non, elle interagit, par l’intermédiaire de sa membrane, avec son environnement intérieur et extérieur. Les organites présents dans la cellule ne sont pas isolés non plus, ils interagissent avec ce que l’on appelle le cytosquelette, un réseau mobile de filaments protéiques et de microtubules qui assurent la structure, la forme, la cohérence et l’organisation intracellulaire. Ce que l’on observe au niveau macroscopique se retrouve donc au niveau microscopique.
Mais ce n’est pas tout, le cytosquelette interagit non seulement avec les organites intracellulaires, avec la membrane de la cellule mais également avec l’extérieur de la cellule, ce que l’on appelle la matrice extracellulaire (MEC).
Enfin en 2017, l’équipe de Jorgens et al, du Lawrence Berkley National Laboratory en Californie, a montré une connexion directe entre le cytosquelette de la cellule et le noyau cellulaire (lieu de résidence de l’ADN).
La boucle est bouclée : ces derniers travaux prouvent ce que l’on supposait depuis longtemps : l’existence d’un lien entre la surface de la peau et le noyau de la cellule (donc un lien entre le macroscopique et le microscopique) !! Une révolution !
Pour Mina Bissell, micrcobiologiste impliquée dans les recherches du Lawrence Berkley National Laboratory « Nous savions que la MEC affectait l’expression des gènes. Mais on ne comprenait pas jusqu’à présent que le cytosquelette était capable de se connecter directement au noyau. Maintenant, nous le savons (…). Quand la forme change, la biologie change ».
Nomenclature du fascia : une définition qui évolue
Au regard de leurs travaux, Guimberteau et Armstrong ont proposé la définition suivante en 2015 : « le fascia est un réseau fibrillaire continu à l’intérieur du corps s’étendant de la surface de la peau jusqu’au noyau de la cellule. Ce réseau global est mobile, adaptable, fractal et irrégulier ; il constitue l’architecture structurelle de base du corps humain ».
La Fascia Research Society a quant à elle proposé une définition en 2018. Elle reconnaît l’existence d’un système fascial décrit comme « un continuum tridimensionnel de tissus conjonctifs conférant au corps une structure fonctionnelle et permettant à l’ensemble des systèmes corporels de fonctionner de manière intégrée ».
Rôle de la flexibilité et de l'adaptabilité (donc du mouvement) de ce réseau tissulaire pour la santé
Dans un livre publié en 2015 avec Jean-Claude Guimberteau, Colin Arsmtrong souligne que si la mobilité, la flexibilité et l'adaptabilité du système microfibrillaire sont limitées, cela peut affecter la circulation des nutriments et le drainage des déchets corporels.
En ostéopathie, il est postulé que la mobilité et le mouvement des tissus peut avoir un impact délétère sur la dynamique des fluides internes. Les images captées par Jean-Claude Guimberteau en apportent la preuve en mettant en évidence les effets délétères des adhérences tissulaires et des cicratrices sur la circulation locale.
Enfin, il rapporte les résultats de plusieurs travaux récents en oncologie qui s'intéressent à l'effet de la rigidité de la matrice extracellulaire sur les cellules tumorales. Deux articles, dont l'un publié dans la revue Nature Medicine, revue de référence scientifique, soulignent que la rigidité de la matrice extracellulaire peut induire des changements physiques dans les tissus pouvant influencer le comportement des cellules tumorales. Colin Arsmstrong souligne que, ces travaux n'indiquent en aucune façon que l'ostéopathie ou toute autre thérapie manuelle ne peuvent prévenir ou traiter les cancers. Il précise néanmoins que ces recherches montrent un effet possible de la perte de flexibilité de ce réseau fibrillaire. D'autres études seront nécessaires pour approfondir nos connaissances sur ce sujet.
Ces différents éléments de recherche, comme le souligne Colin Armstrong, viennent confirmer une fois encore les observations d'Andrew Taylor Still, 1899 : "les processus de la vie doivent être maintenus en mouvement" ("the process of life must be kept in motion"). Je vous invite à lire cet excellent article.
(1) Arsmtrong C. Journal of Bodywork and movement therapies 2020 ;24 :138-146.
Agnès Barret, fasciathérapeute méthode Danis Bois à Châtenay-Malabry/Sceaux et à Paris